Historique


 

Il faut parfois remonter très loin dans l’histoire d’hier pour raconter celle d’aujourd’hui.

 

 

Cumières

de Culmen merum,

soit le « vin pur du sommet »

 


Aujourd’hui habité par quelques 800 âmes, Cumières est un village blotti entre rivière et forêt.

La rive droite de la rivière « Marne » forme la limite Sud de son terroir et la forêt domaniale celle du Nord.

Au milieu de ce paysage, en bord de rivière, s’étendent les habitations que domine le coteau allongé d’Est en Ouest, en pentes raides, d’une exposition Sud Sud-Ouest.

Les vignes, qui dominent, développent les premières fleurs de la région, malgré le brouillard givreux de la Marne.

 

Au fil des pages, vous découvrirez l'histoire de ce merveilleux village qui dépendait, autrefois, d'Hautvillers et de Damery. A partir de 1697, une fracture est née entre ces villages dûe à la mise en place d'une paroisse à Cumières.  

Cumières D’autrefois
1832 : HISTOIRE D’UNE ÉPIDÉMIE
A l’heure de la COVID-19, il est important de rappeler ce que nos anciens ont
eux aussi connu.
A titre de comparaison, voici quelques chiffres d’après les statistiques
rigoureuses de 1832 :
Le Choléra Morbus indien est parti des bords du Gange en Inde en 1817, est
arrivé en France le 15 mars 1832 et il a touché le département de la Marne à
partir du 11 avril. Cinq années se sont donc écoulées avant que la contagion
ne se répande dans nos contrées. Il faut dire qu’il y a presque 200 ans, les
transports et les voyages lointains étaient rares. La France comptait 22
millions d’habitants et 97.245 personnes sont mortes soit 0,43 % de la
population. La Marne à cette époque comptait 377.076 habitants, et au
cours de cette année 1832, 23.077 personnes furent contaminées soit plus
de 6,1% de la population. Le nombre des morts se monte à 6.834, soit 1,8 %
des Marnais.

La commune de Cumières (1087 habitants) enregistre 57 décès en 1832,
100 Cumariots sont contaminés, 23 sont morts du choléra (16 femmes et 7
hommes), soit plus de 2 % de la population.
Voici le rapport établi par le Dr Rousseau, chirurgien en chef de l’hôpital
d’Épernay à cette époque, adressé au rédacteur en chef de l’Union
Médicale:
Épernay, le 28 août 1849,
Dans votre numéro du 25 août, vous parlez de l'espèce d'émeute qui a eu
lieu à Rochefort, émeute que vous attribuez aux idées de contagion et
d'empoisonnement qui s'étaient répandues dans cette ville. Je comprends
parfaitement que les idées d'empoisonnement puissent soulever une
population ignorante contre les personnes accusées de se prêter à cet
empoisonnement, surtout si cette population n'aperçoit pas la cause de la
propagation de la maladie qui la décime. Mais je ne comprendrais
nullement le soulèvement de cette population, si elle savait que la maladie
se propage par contagion, et que ces médecins, ces soeurs de charité
qu'elle poursuit de sa haine aveugle, bravent les plus grands dangers pour
tâcher de sauver ceux que le fléau a frappés.
Le seul inconvénient que l'on pût craindre en reconnaissant la réalité de la
contagion, ce serait une difficulté plus grande pour trouver des garde-
malades ; mais cet inconvénient même pourrait être évité si l'on affirmait,
ce qui est vrai, que le choléra ne se transmet pas par le contact, mais
seulement par la respiration prolongée d'un air infecté à un degré suffisant,
et que l'on peut presque toujours empêcher l'atmosphère qui entoure les
malades d'arriver à ce degré d'infection, en les plaçant dans des locaux
percés de nombreuses ouvertures, en renouvelant souvent l'air, et en
entretenant, autour d'eux et autour de ceux qui les soignent, la plus grande
propreté.
Intimement convaincu de la transmissibilité du choléra de l'homme malade
à l'homme sain, convaincu également que la vérité est toujours moins
dangereuse que l'erreur, je vous adresse un résumé des faits les plus
saillants parmi ceux qui, en 1832, ont détruit mes préventions contre la
contagion et m'ont forcé à la considérer comme démontrée. Je serais
heureux de vous les voir publier.
En avril 1832, le choléra se développa à Vertus, à vingt kilomètres
d'Épernay, après le passage d'un régiment venant de Paris, et qui avait logé
dans cette petite ville. La maladie y fit un grand nombre de victimes, mais y
resta concentrée pendant assez longtemps. C'était là que nous étions
obligés d'aller l'observer pour nous mettre en mesure de la combattre
lorsqu'elle viendrait nous visiter.

Tout à coup nous apprenons que le choléra a paru à Hautvillers, village situé
sur une montagne élevée, à six kilomètres d'Épernay, à vingt-six kilomètres
de Vertus. Comment avait-il fait un trajet si rapide et sans avoir marqué sa
route par aucun ravage? Nous l'apprîmes bientôt. C'était un mendiant
d'Hautvillers qui, après être allé passer deux jours à Vertus, était revenu chez
lui, avait été pris le lendemain du choléra, et en était mort dans la journée.
Sa femme et sa fille (qui n'avaient pas quitté Hautvillers) avaient été prises à
leur tour, et étaient mortes quelques jours après. Mais, avant elle, était
morte, avec une effrayante rapidité, une voisine qui avait enseveli le premier.
Le fils de cette dernière, qui av ait rapporté sa mère du bois, où sa maladie
avait commencé, avait été atteint à son tour. Pendant quelques jours, il fut
facile de suivre, de maison en maison, la propagation de la maladie, qui avait
lieu en raison composée du voisinage et des rapports des individus sains
avec les malades. Bientôt le pays tout entier fut envahi, et les investigations
sur la transmission devinrent impossibles.
Je ne dois pas omettre de dire que, dans le moment où la maladie sévissait
avec le plus d'intensité à Hautvillers, deux petits rentiers qui y étaient fixés
quittèrent leur maison, dont ils fermèrent portes et fenêtres, pour aller, à
une vingtaine de lieues, demander l'hospitalité à un de leurs amis dans un
pays où le choléra n'avait pas pénétré,

Lorsqu'ils apprirent que, depuis deux mois, le choléra avait abandonné
Hautvillers, ils se hâtèrent d'y revenir et de rentrer dans leur maison; mais ils
furent presque immédiatement frappés de la maladie, et moururent tous
deux.
D'un autre côté, je dois dire aussi que, dans ce même pays si cruellement
maltraité, des personnes qui donnaient aux cholériques des soins assidus et
d'autant plus pénibles que jamais elles n'avaient soigné aucun malade,
furent entièrement préservées ou n'eurent que de légères indispositions.
Une femme d'Épernay, voulant surveiller la culture de quelques vignes
qu'elle possédait a Hautvillers, alla y passer deux jours dans le moment où le
fléau y avait atteint son maximum d'intensité. Elle revint ensuite à Épernay,
fut prise d'un choléra-morbus peu intense et guérit.
Bientôt deux voisins très-rapprochés de son habitation tombent malades et
meurent en quelques heures. Un troisième est pris assez gravement (il a
guéri plus tard). Sa fille tombe malade et meurt; sa femme tombe malade
ensuite et meurt également.
Alors le quartier tout entier se trouve rapidement envahi, et l'on cesse de
pouvoir y suivre la marche du mal. Seulement on remarque que ceux qui
viennent, de quartiers sains, soigner leurs parents malades dans le quartier
infecté, tombent ordinairement malades à leur tour au bout de peu de
temps.
Bientôt une ambulance fut établie dans un lieu bien aéré; les malades y
furent transportés dès les premiers symptômes du mal, et la propagation
cessa d'avoir lieu de la même manière, pour recommencer plus tard dans un
petit nombre de familles qui avaient conservé leurs malades dans leurs
maisons.
Ici, comme à Hautvillers, beaucoup de personnes, notamment à l’ambulance,
ont soigné des malades sans être atteintes, ou ne l'ont été que légèrement.
Je pourrais ajouter que moi-même j'en ai été quitte pour une cholérine sans
vomissements ni crampes, quoique j'aie passé la plus grande partie de mon
temps près des cholériques et que j'aie eu à supporter des fatigues
excessives qui n'étaient pas tous les jours interrompues par un petit nombre
d'heures de repos au lit. mais je crois pouvoir attribuer cette quasi-immunité
à ce que j'ai suivi un régime assez sévère, et surtout à ce qu'en allant d'une
commune à une autre, je respirais un air pur eu presque pur, qui détruisait
en grande partie l'effet des miasmes aspirés dans la localité que je venais de
visiter.
Quelquefois aussi on a vu le choléra se développer dans des quartiers
éloignés sans qu'on pût constater de rapports entre les personnes affectées
ainsi, et d'autres individus malades antérieurement.

A Champillon, village très-rapproché d'Hautvillers, je n'ai pu suivre de la
même manière la propagation du mal ; mais presque constamment son
apparition chez un seul individu m'annonçait son développement successif
chez tous ou presque tous les membres de la même famille ; et je pouvais le
prédire d'autant plus sûrement, que les maisons étaient plus malpropres,
plus étroites et moins bien aérées.
On pourra juger de cette extension dans chaque famille, quand je dirai que
j'y ai soigné quatre-vingt-dix-huit individus appartenant à trente-six familles.
Sur ce nombre, dix huit sont morts, les uns après avoir été soignés, les autres
presque sans l'avoir été, parce qu'ils étaient tombés malades dans l'intervalle
de mes visites, quoique j'en fisse deux par jour et que je les fisse toutes deux
fort longues.
Pendant que le choléra-morbus sévissait à Champillon et Cumières, villages
très-rapprochés d'Hautvillers, Dizy, qui en est un peu plus éloigné, en était
encore exempt. Mais une femme de ce dernier pays va à Cumières donner
des soins à son gendre, et revient tomber malade à Dizy, où elle meurt. Une
voisine tombe malade et guérit ; son jeune fils tombe malade à son
tour et guérit également.
Une autre femme tombe malade sans rapports évidents avec aucun
cholérique et ne communique pas la maladie autour d'elle.

Mais bientôt le choléra se développe dans une autre famille. La mère est la
première affectée ; puis le père, puis la fille, puis le gendre, puis le frère du
gendre qui demeurait dans une autre maison, mais était venu donner des
soins à son frère ; puis la mère de ces deux jeunes gens.
Enfin le père et une soeur, composant tout le reste de la famille, ressentent
aussi de légères atteintes.
Cette famille occupait deux maisons distantes l'une de l'autre de plus de
cent pas, et dont l’une était basse et humide, tandis que l'autre était située
dans un lieu élevé, mais n'était pas percée d'un nombre suffisant
d'ouvertures.
Une femme demeurant assez loin d'eux était venue par affection leur
donner des soins. Elle tombe malade et meurt. Son mari, ses deux fils et sa
fille tombent malades à leur tour. Tous quatre guérissent.
Plusieurs autres familles ont aussi été prises presque en entier. Cependant
cela a été moins général qu'à Hautvillers et Champillon. Les maisons de Dizy
sont généralement plus saines, moins humides et mieux aérées; mais celles
qu'habitaient les familles que j'ai citées étaient dans des conditions
défavorables.
Des faits analogues se sont produits à Avize, à Cramant, à Cuis, au Baizil et
dans beaucoup d'autres villages ; mais je me bornerai à cette simple
énonciation, parce que je n’ai pas conservé, sur les malades que j’ai soignés
dans ces communes, de notes aussi précises que sur ceux de Champillon et
de Dizy, dont le traitement m’avait été spécialement confié.
Cette année encore, dans la plupart des localités et surtout dans les villages
envahis autour de nous par le choléra, on peut dire quel a été le premier
malade et dans quel lieu il est allé chercher la maladie. On peut aussi
presque toujours indiquer les rapports qui ont existé entre ce premier
malade et ceux chez qui la maladie s'est ensuite manifestée.
Je le répète, avant d'avoir vu, en 1832, les faits que je viens de rapporter, je
ne croyais pas à la contagion. La vue même des cholériques, si froids, si
inanimés, éloignait encore cette idée ; mais les faits que j'ai observés ont
complètement changé ma manière de penser.
Et ici je dois dire ce que j'entends par maladie contagieuse. J'appelle de ce
nom toute maladie dans laquelle le malade reproduit une substance, soit
liquide, soit solide, soit gazeuse, capable de déterminer chez un autre sujet
une affection de même nature. Que cette cause ait ensuite besoin, pour
produire son effet, de toucher une surface muqueuse (pulmonaire,
gastrique ou autre), ou qu'il lui suffise d'être mise en contact avec la peau
dénudée ou non, ce sont des différences importantes sans doute, mais qui
ne sont cependant qu'accessoires.

Eh bien il est évident pour moi que les cholériques reproduisent la cause du
choléra ; que cette cause est susceptible de se dissoudre ou de se suspendre
dans l'air, de s'étendre à d'assez grandes distances, et d'agir sur les individus
prédisposés en pénétrant dans leurs vaisseaux par l'absorption pulmonaire.
Est-elle susceptible de pénétrer par d'autres voies ? Je l'ignore ; mais la voie
la plus sûre est certainement le poumon.
ROUSSEAU, Chirurgien en chef de l'Hôpital d'Épernay.
Sources : Lettres sur la contagion du choléra-morbus indien, par le Dr
Rousseau édité à Épernay en 1866 par l’imprimerie NOEL-BOUCART.
Hervé LEMARCH